Révolution, Culture et Inconscient

Pour Fanon, l’aliénation culturelle se fait d’abord au niveau de l’inconscient,

« Quand on réfléchit aux efforts qui ont été déployés pour réaliser l’aliénation culturelle si caractéristique de l’époque coloniale, on comprend que rien n’a été fait au hasard et que le résultat global recherché par la domination coloniale était bien de convaincre les indigènes que le colonialisme devait les arracher à la nuit. Le résultat, consciemment poursuivi par le colonialisme, était d’enfoncer dans la tête des indigènes que le départ du colon signifierait pour eux retour à la barbarie, encanaillement, animalisation. Sur le plan de l’inconscient, le colonialisme ne cherchait donc pas à être perçu par l’indigène comme une mère douce et bienveillante qui protège l’enfant d’un environnement hostile, mais bien sous la forme d’une mère qui, sans cesse, empêche un enfant fondamentalement pervers de réussir son suicide, de donner libre cours à ses instincts maléfiques. La mère coloniale défend l’enfant contre lui-même, contre son moi, contre sa physiologie, sa biologie, son malheur ontologique. »

Mais Fanon met en garde contre ceux qui essaient de faire revivre des traditions et des coutumes, pour lui, la culture ne pourra être stable immuable et contrôlable. Il faut éviter toute simplification de la culture, car ‘Vouloir coller à la tradition ou réactualiser les traditions délaissées, c’est non seulement aller contre l’histoire mais contre son peuple ». De fait,

« Quand un peuple soutient une lutte année ou même politique contre un colonialisme implacable, la tradition change de signification. Ce qui était technique de résistance passive peut, dans cette période, être radicalement condamné. Dans un pays sous-développé en phase de lutte les traditions sont fondamentalement instables et sillonnées de courants centrifuges. C’est pourquoi l’intellectuel risque souvent d’être à contretemps. Les peuples qui ont mené la lutte sont de plus en plus imperméables à la démagogie et à vouloir trop les suivre on se révèle n’être qu’un vulgaire opportuniste, voire un retardataire. »

Gare, donc, à ceux qui disent savoir ce qu’est la culture, les traditions, les coutumes du pays. Car ils se « tournent paradoxalement vers le passé, vers l’inactuel », en produisant des « déjections de la pensée, le dehors, les cadavres, le savoir définitivement stabilisé », alors qu’une « œuvre authentique c’est d’abord la réalité nationale ». Fanon estime que la conscience nationale ne peut pas se faire sans prendre en considération les nations qui se trouvent elles aussi dans un processus de décolonisation car « la conscience d’une loi banale qui veut que toute nation indépendante, dans une Afrique où le colonialisme demeure accroché » mènera à « une nation encerclée, fragile, en danger permanent ».  Sans vouloir donner une solution préfabriquée, la construction de la nation vise à

« traduire le vouloir manifeste du peuple, si elle révèle dans leur impatience les peuples africains, alors la construction nationale s’accompagne nécessairement de la découverte et de la promotion de valeurs universalisantes. Loin donc de s’éloigner des autres nations, c’est la libération nationale qui rend la nation présente sur la scène de l’histoire. C’est au cœur de la conscience nationale que s’élève et se vivifie la conscience internationale. Et cette double émergence n’est, en définitive, que le foyer de toute culture. »

Plus que tout autre sujet, celui de la culture, de l’inconscient et de la conscience nationale parait le plus fondamental, car c’est en démêlant les schémas inconscients de l’aliénation culturelle que les individus pourront aspirer à un monde où peut-être ils ne seraient plus des esclaves de telle ou telle minorité. Il est très courant de nos jours d’entendre des soi-disant intellectuels autant occidentalisés qu’ ‘arabisés’  (il y a bien sur des variantes entre ces deux pôles) savoir ce qu’est que la culture, les coutumes, la religion, et pire encore, comment ca devrait être pour tout le monde. Fanon met le doigt sur un aspect fondamental : si on ne vit pas les transformations avec les masses pendant les révoltes et les révolutions, on aura du mal à comprendre les changements culturels qui se font tous les jours. En d’autres termes, si on ne vit pas soi-même des déchirures, des ruptures, des remises en question, de la violence etc, vécus en lien avec les événements plus larges, on aura tendance à penser que la culture est ce bloc monolithique qui traverse le temps et l’histoire.

Étant donné que l’élite a le monopole du pouvoir de transmission de l’information et des idées soit à travers les média, soit à travers les institutions en place (système éducatif, économique, celui de la santé, les institutions religieuses), elle essaiera d’imposer sa vision de la culture nationale, son projet pour le futur de toute la nation. Un beau projet utopique destiné à rencontrer sans cesse des résistances…

La culture s’est métamorphosée après les invasions (colonisation?) puniques, les invasions (colonisation?) arabes, la colonisation turque, française, etc, et même depuis le 14 Janvier 2011! Ne l’oublions pas.

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