Économie et Révolution

Suite aux ‘révolutions’ en cours dans le monde arabe, beaucoup de voix se sont élevées pour que le changement se fasse à tous les niveaux, et notamment dans le secteur économique. L’argument principal énonce qu’on ne peut pas lutter contre les inégalités et l’injustice sociale en décrétant que la dictature doit tomber alors que derrière, le même système capitaliste va recréer les mêmes conditions d’inégalités et de misère. C’est une situation très similaire à la période postcoloniale des années 60 que Fanon décrivait de cette manière :

« Nous savons, certes, que le régime capitaliste ne peut pas en tant que mode de vie nous permettre de réaliser notre tâche nationale et universelle. L’exploitation capitaliste, les trusts et les monopoles sont  les ennemis des pays sous-développés… »

Il s’agirait donc d’innover l’économie car :

« Aussi la jeune nation indépendante se voit-elle obligée de continuer les circuits économiques mis en place par le régime colonial. Elle peut, bien sûr, exporter vers d’autres pays, vers d’autres zones monétaires mais la base de ses exportations n’est pas fondamentalement modifiée… Il faudrait peut-être tout recommencer, changer la nature des exportations et non pas seulement leur destination, réinterroger le sol, le sous-sol, les rivières et pourquoi pas le soleil. Or, pour ce faire il faut autre chose que l’investissement humain. Il faut des capitaux, des techniciens, des ingénieurs, des mécaniciens, etc. Disons-le, nous croyons que l’effort colossal auquel sont conviés les peuples sous-développés par leurs dirigeants ne donnera pas les résultats escomptés. Si les conditions de travail ne sont pas modifiées il faudra des siècles pour humaniser ce monde rendu animal par les forces impérialistes. »

Mais les plus ‘lucides’ avancent que le capital étranger est nécessaire pour la reconstruction. Il faut à tout prix attirer les investisseurs, en oubliant que :

« Fidèles au principe de rentabilité immédiate qui est le leur dès qu’ils vont « outre-mer », les capitalistes se montrent réticents à l’égard de tout investissement à long terme. Ils sont rebelles et souvent ouvertement hostiles aux prétendus programmes de planification des jeunes équipes au pouvoir. À la rigueur ils accepteraient volontiers de prêter de l’argent aux jeunes États mais à la condition que cet argent serve à acheter des produits manufacturés, des machines, donc à faire tourner les usines de la métropole.

En fait, la méfiance des groupes financiers occidentaux s’explique par leur souci de ne prendre aucun risque. Aussi exigent-ils une stabilité politique et un climat social serein qu’il est impossible d’obtenir si l’on tient compte de la situation lamentable de la population globale au lendemain de l’indépendance. Alors, à la recherche de cette garantie que ne peut assurer l’ancienne colonie, ils exigent le maintien de certaines garnisons ou l’entrée du jeune État dans des pactes économiques ou militaires. Les compagnies privées font pression sur leur propre gouvernement pour qu’au moins les bases militaires soient installées dans ces pays avec pour mission d’assurer la protection de leurs intérêts. En dernier ressort ces compagnies demandent à leur gouvernement de garantir les investissements qu’elles décident de faire dans telle ou telle région sous-développée. »

Triste constat donc, les vieilles habitudes sont encore la norme 50 ans après, et on n’arrive pas à trouver des leviers pour améliorer la situation économique. Peut-être parce que depuis l’indépendance, l’homme n’a pas été réhabilité ni dans son pays, ni en Europe :

« En agitant le tiers monde comme une marée qui menacerait d’engloutir toute l’Europe, on n’arrivera pas à diviser les forces progressistes qui entendent conduire l’humanité vers le bonheur. Le tiers monde n’entend pas organiser une immense croisade de la faim contre toute l’Europe. Ce qu’il attend de ceux qui l’ont maintenu en esclavage pendant des siècles, c’est qu’ils l’aident à réhabiliter l’homme, à faire triompher l’homme partout, une fois pour toutes. »

Il est aussi intéressant de remarquer que le maitre des masses décolonisées et des masses Européennes a toujours été le même :

« Mais il est clair que nous ne poussons pas la naïveté jusqu’à croire que cela se fera avec la coopération et la bonne volonté des gouvernements européens. Ce travail colossal qui consiste à réintroduire l’homme dans le monde, l’homme total, se fera avec l’aide décisive des masses européennes qui, il faut qu’elles le reconnaissent, se sont souvent ralliées sur les problèmes coloniaux aux positions de nos maîtres communs. Pour cela, il faudrait d’abord que les masses européennes décident de se réveiller, secouent leurs cerveaux et cessent de jouer au jeu irresponsable de la Belle au bois dormant. »

Déjà dans les années 60, le défi était donc de révolutionner l’économie colonialiste afin qu’elle serve l’indépendance autant pour nourrir la population que pour inscrire réellement les femmes et les hommes dans l’histoire. Malheureusement, aujourd’hui, ils sont des spectateurs passifs du pillage des ressources de la nation avec la bénédiction du système capitaliste international et avec l’aide très concrète des ‘élites’ locales.

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